chouyo

Publié le par June Prune

Je suis encore partie dans un endroit où il n'est pas très facile de blogger. Alors je continue à publier les réponses à ma chaîne sur la formation des enseignants.

Aujourd'hui, Chouyo.



Art mural JJ School of Art Mumbai

Une autre manière de voir l’abécédaire.

Un étudiant de la Sir JJ School of Art de Bombay.

 

Ce qu’est un bon prof

Un bon prof ? C’est celui qui tient compte des murs et des portes en papier des établissements scolaires. Et qui par conséquent ne trouble pas ton propre cours de rugissements, de hurlements ou des éclats de violence ou de rire de sa classe. Supporter deux cours en même temps est à la fois troublant, exaspérant et frustrant (surtout quand tu affrontes la remarque suivante : « ouais, môdôme, à côté z’ont l’air de s’amuser vachement plus qu’ici… »).

Le bon prof, c’est aussi celui qui introduit une dose de folie dans la morne salle des profs (une salle des profs n’est pas un endroit gai, c’est plutôt triste, parfois terriblement triste, avec des tensions, des coups de gueule (contre un collègue, l’administration ou la machine à café) et les conflits quotidiens d’un véritable foyer). Car on se demande parfois si pour certains, ce n’est pas leur seul lieu de vie (d’où les remarques acerbes : qui n’a pas rincé son mug ? qui n’a pas remis de papier dans la photocopieuse ? c’est encore untel qui a oublié de reboucher le feutre ?). Le bon prof va ramener des petits gâteaux pour tout le monde, laissant la boîte ouverte bien en vue sur une table, lancer des activités de salle des profs (qui arrivera au bout de son tas de copies le premier ? qui mettra de la colle sur le siège d’untel ? un repas offert à celui qui coincera enfin les élèves Truc et Bidule en train de se bécoter !), faire circuler des annonces ou des caricatures réjouissantes.

C’est aussi celui qui te soutiendra dans ta lutte quasi quotidienne avec l’administration (pour avoir le nombre de photocopies nécessaires à tes 180 élèves hebdomadaires, pour comprendre les méandres du système des mutations), qui partagera son rétro-projecteur avec toi et trois autres profs, qui te donnera sans complexe des documents déjà prêts, des bouts de cours ou des devoirs pour t’inspirer (il ne s’agit pas de copier, mais de collaborer, de s’entraider, voire d’échanger d’un point de vue pédagogique).

C’est le collègue qui te parle d’autre chose que de ses élèves et de l’administration dans le RER quand tu rentres d’une journée de cours, et dont les propos ne concerneront pas uniquement les mutations. Qui saura oublier de temps en temps que oui, ce poste, il ne l’a jamais demandé, qu’il n’a jamais voulu être dans cette académie. C’est celui aussi qui ne ressasse pas devant toi le nombre de semaines restant avant les vacances. C’est aussi celui qui ne prononce pas dès 7h du matin (toujours dans le même RER, dans l’autre sens cette fois) le prénom de l’élève dont il parlait déjà la veille au soir.

C’est le collègue qui te dit « souffle et pleure un bon coup » et qui en même temps te regarde droit dans les yeux en t’assenant : « je t’attends demain matin sur le quai, bien sûr ».

De mon côté, j’ai absolument confiance dans mes capacités, mes connaissances, la passion que j’ai pour mes disciplines et pour transmettre, pour élaborer des stratégies pédagogiques différentes ; je me méfie en revanche radicalement des méthodes (malgré tout ce que l’on dit) imposées, des manuels et des conditions de travail des élèves, des collègues, de l’administration et celles que je subissais. Mais regardant les critères que je viens d’énumérer, compte-tenu de ces contraintes, je ne sais pas si vis-à-vis de mes collègues j’ai été une bonne prof…


Ce que les profs devraient apprendre

A travailler ensemble : j’ai été atterrée de voir que la très grande majorité de mes collègues refusaient, voire fuyaient, absolument le contact pédagogique avec les autres profs. Aucune conversation ne concerne moins les apprentissages et surtout la manière d’apprendre qu’une conversation de profs. Et l’échange de techniques, de trucs, de stratégies pédagogiques ? Cela se fait outre-Rhin mais alors en France, c’est le néant absolu. Même entre amis, voire surtout entre amis.

La conséquence, c’est que l’on passe tous par les mêmes essais, les mêmes erreurs sans bénéficier de l’expérience et de l’avance des autres. L’entraide, non. Je sais que c’est la même chose dans tous les emplois, sauf que… sauf qu’il y a peu d’emploi où tu es amené à gérer heure après heure 30 personnes surexcitées qui voudraient être partout ailleurs sauf là. (Ah si, dans les prisons.)

A aller enseigner ailleurs, de l’autre côté des frontière ou au bout du monde, pour quelques semaines ou des années (il y a des programmes d’échanges qui existent), mais aussi dans d’autres niveaux et sections. Mais sûrement pas dans des écoles et lycées français : le but est de se confronter aux autres méthodes d’enseignement, de les découvrir, d’en comprendre les mérites et les limites. A enseigner aussi d’autres disciplines, non pour combler les manques du ministère mais pour se confronter à une pédagogie différente : cela ne peut être que bénéfique au bout du compte (enseigner quelques heures de maths quand tu es un pur littéraire, c’est en fait un véritable délice, exactement la même chose qu’un match d’improvisations ; l’élève le sait d’ailleurs, et sera la plupart du temps reconnaissant que tu te sois mis « en danger » pour lui, que tu aies osé, et sera dix fois plus attentif).

A envisager de quitter l’Education nationale, temporairement ou définitivement (ce que moi-même je ne parviens pas encore à faire tant le bourrage de crâne fonctionne bien) car les compétences et la matière grise des profs sont de réelles richesses, qu’il faut mettre en valeur, et aller renifler dans d’autres secteurs peut avoir des conséquences très positives même en revenant dans une salle de classe ensuite… Ce serait bien d’avoir vu autre chose qu’une salle de classe dans sa vie professionnelle.


Pour faire un prof… ce qui s’apprend, ce qui ne s’apprend pas

Cela ne s’apprend pas : à être dépressif. C’est une donnée fondamentale, un préalable je crois au fait d’être prof. Car il faut l’être d’une manière ou d’une autre pour accepter de travailler dans de telles conditions, dans un tel rapport de forces permanent, sans la formation requise en quelque matière que ce soit (pédagogie, mais surtout gestion des problèmes annexes), après tant d’années d’études, pour un salaire correct mais absolument pas mirobolant, pour rentrer chez soi avec une boule dans le ventre du fait des violences morales que t’inflige le système, des kilos et des kilos de copies à corriger, et des préparations de cours les week-ends et les vacances. Accepter aussi de voir ses compétences remises en cause, être vu comme des grévistes à tout crin, être traité de fonctionnaire-qui-a-la-sécurité-de-l’emploi… En tout cas, c’est ce qu’il m’a semblé comprendre des conversations répétées chaque matin et chaque soir : et si tu n’es pas dépressif, il y a de fortes chances que tu le deviennes.

Cela ne s’apprend pas non plus : la passion pour sa discipline, et surtout la passion de transmettre, de savoir créer l’enthousiasme, le suspense et la satisfaction d’avoir compris chez les élèves.

Cela s’apprend : ouvrir sa méthode et sa discipline aux collègues. Être capable de comprendre qu’un cours de maths peut t’apprendre beaucoup sur ta pratique en histoire, qu’un prof de sport peut t’aider à mieux mettre en scène ton cours de géographie, et inversement. Que le savoir et la méthode n’ont rien, absolument rien, de fragmentaire.

Cela s’apprend aussi : à lâcher prise, à être capable de ne pas prendre pour soi de soudaines explosions de colère des élèves, des horreurs concrètes et verbales envoyées heure après après vers soi. Savoir naviguer dans les arcanes du ministère, des syndicats, sonner aux bonnes portes, rencontrer les bonnes personnes : l’entrisme, et sûrement pas ses compétences, c’est ce qui permet de sauver un prof.






Attendre, après deux cents ans ! Attendre, comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit qu'on devrait laisser mûrir avant de le cueillir !

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Commenter cet article
M
<br /> Je n'ai pas oublié ta chaine.<br /> Je l'ai même faite mais je ne suis pas encore satisfaite de certaines de mes réponses... je pense te l'envoyer sous peu.<br /> Et sache que j'adore lire tous ces avis. Merci pour cette idée.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> pas de soucis, prends ton temps !<br /> <br /> <br /> <br />