demi-mesure
Mon dernier article sur les blocages lycéens vous a fait réagir, et c'est tant mieux. C'est en échangeant, en se confrontant, qu'on apprend et qu'on évolue. Je vais aujourd'hui vous décrire mon regard sur les actions et réactions des profs en temps de blocage ou de grève.
Mon regard, c'est surtout de l'incompréhension. Tout d'abord, dans le lycée où je travaille, et dans certains autres, les profs ne veulent pas dire s'ils sont en grève ou pas. Ni avant ni après. Je suis peut-être complètement naïve, mais j'imaginais que le nombre de grévistes devait être connu rapidement, que les médias, ou du moins le rectorat, devaient en être informés pour que cela ait un réel impact. Faire grève en cachette, quel intérêt ? J'ai posé la question à des grévistes, des non-grévistes, des entre-deux, et personne n'a su me répondre. Les grévistes m'ont expliqué qu'ils avaient l'impression d'être fliqués quand on leur demande le lendemain s'ils ont été grévistes. Je comprends ça, mais en revanche pourquoi ne l'ont-ils pas annoncé haut, fort et fièrement le matin de leur action ?
Ensuite, j'observe que (presque) tous les profs, les grévistes et les autres, font tout pour que leurs élèves ne perdent pas une miette de cours, quelles que soient les circonstances. Ils repoussent les contrôles, envoient les cours par email, se rendent joignables, rencontrent leurs élèves en dehors. C'est tout à leur honneur, et cela montre une grande conscience professionnelle, ce qui continue à m'émerveiller, surtout dans un métier où on ne risque absolument rien si on est nul et si on ne fait pas son boulot. Mais dans ce cas, quel est l'intérêt de la grève ? Elle n'a pas d'impact, à part une certaine désorganisation des établissements scolaires, qui amuse tout le monde finalement, car nous sort de la routine. En conséquence, ce que l'on voit dans les médias, ce ne sont pas les grèves de profs, mais seulement les cortèges de syndicats enseignants dans les manifestations.
Certes, il est plus facile de faire pression sur le patron quand on travaille dans une chaîne de montage, il suffit d'arrêter de produire, et les conséquences financières sont immédiates. Mais un prof aussi peut faire pression sur son employeur en arrêtant de travailler. Il lui suffit par exemple de :
* ne pas rattraper les cours non donnés pendant le mouvement ;
* ne pas reprogrammer un contrôle qui était prévu un jour de grève : les élèves auront une note de moins, c'est tout ;
* donner quand même un contrôle prévu après la grève, tant pis si le cours n'a pas été fait ;
* ne pas changer la date d'un conseil de classe prévu un jour de grève : il n'y a qu'un prof, pas le prof principal, un parent, deux élèves et le proviseur ? Cela se saura rapidement dans le quartier, au rectorat, dans les établissements alentour, les associations de parents d'élèves exprimeront leurs inquiétudes et leur mécontentement.
Finalement si ce genre d'action se généralise, l'employeur comprendra enfin l'importance des revendications.
Pour l'instant, les seuls qui subissent les conséquences d'une grève, ce sont les élèves. Personne ne s'en rend vraiment compte, car on voit que les profs continuent à essayer de s'occuper d'eux, mais leur scolarité est perturbée malgré tout, et cela se ressent surtout sur les élèves les plus fragiles... On en revient au sacrifice. Et c'est la pire situation : ce n'est pas l'employeur qui subit les conséquences de la grève, mais les usagers.
Pardon d'avoir rêvé tout haut.